The Search: Comfortably Numb
05/06/2020

The Search: Comfortably Numb

Mick Fanning et Mason à la recherche de sérénité dans les vagues glaciales du Grand Nord.

Par Taylor Paul, traduit par Marie Beaujeux

Crack-crack-plouf

Le bruit du feu fait écho aux blocs de glaces, alors que Mick Fanning et Mason Ho se réchauffent les mains au-dessus des flammes. Armés de leurs combis et chaussons, ils sont prêts, persuadés qu’un nouveau swell va bientôt arriver. Ils l’attendent.

Crack crack plouf

« Il faudrait que ce gros bloc de glace tombe pour créer une houle d’Ouest », explique Mason en pointant du doigt droit devant. « Je veux tellement surfer une de ces gauches ».

« Tu ne crois pas que tous ces blocs de glace vont nous empêcher de surfer ? » demande Mick. L’océan ressemble à un champ de mine avec tous ces blocs de glace.

« Peut-être », répond Mason. « Il faut absolument le faire, car c’est une opportunité qu’on a qu’une fois dans notre vie ! »

A 800 mètres d’eux un glacier de 150 mètres de hauteur s’élève à l’image du mur de Game Of Thrones. Mick et Mason sont déjà venus ici hier, la mer était alors calme, ce détour touristique leur a permis de se rendre compte que cet endroit n’avait pas changé depuis l’âge de glace. Cependant, le capitaine du bateau leur fit remarquer que lorsqu’un bloc de glace de la taille d’une ville s’effondre, cela peut créer trois petites gauches parfaites dans la baie. Pour Mick et Mason il n’y avait pas d’autre choix que de revenir aujourd’hui pour essayer de surfer ces vagues.

Mick attise les flammes. Le feu grésille.

Crack-Crack-plouf

Ils se retournent vers le glacier et voient plusieurs blocs de glace de tailles différentes tomber à l’eau. C’est d’abord un réfrigérateur puis une voiture et enfin un studio.

« C’est partiiiii ! » hurle Mike alors qu’un bloc de glace se détache du glacier. A peine ont-ils eu le temps d’entendre le bruit de l’impact, qu’ils ont déjà sauté à l’eau, puis zig-zag entre les rochers, glissent sur des icebergs comme des phoques. Les photographes se précipitent pour mettre en place des trépieds et fixer les objectifs. C’est l’excitation générale ! Les deux surfeurs sautent à l’eau puis rament vers le glacier, les vagues se dirigent alors comme si elles étaient aimantées. Des morceaux de glace rebondissent sur leurs planches. Au départ ils n’étaient pas parti pour surfer une vague de ce type, ils n’imaginaient même pas que ce genre de vague existait- mais ils y sont, et elle arrive.

Ce trip arrive à un moment idéal pour Mick. Après une année 2015 très mouvementée (des compétitions gagnées, une attaque de requin, une séparation conjugale et la mort de son frère au beau milieu de la course au titre mondial) il a pensé qu’il avait atteint sa limite de drame pour la décennie, et a choisi de prendre le large en 2016, afin de voyager pour le plaisir et se vider la tête. Mais aussi pour évaluer si la compétition est toujours une passion pour lui, ou si ce sont des voyages comme celui-ci qui devraient équilibrer sa carrière. Après avoir participé à Snapper et Bells, et tandis que les autres surfeurs sont partis chercher des points à Margaret River, Mick, lui, est allé au nord, pour se changer les idées.

« Nous avons pour but d’explorer la totalité des 55 000 km de côtes » explique le capitaine Mike alors que nous embarquons à bord de son bateau, un navire de pêche de 18 mètres réhabilité pour l’exploration du surf. « Je ne suis pas très bon en math, mais j’imagine qu’il faudrait plus d’une vie pour parvenir à tout explorer. »

Nous avons seulement une semaine. Voyons ce que nous pouvons faire. Scott – photographe et pilote de drone – nous fait une visite de notre nouveau « chez-nous ». Les affaires et les hommes seront dans les couchettes en-dessous. Les planches et les bières resteront sur le pont. Les combinaisons de survie par ici. Les caches-oreilles sont par là. Et faites attention à ne pas tomber là.

Tout n’est que beauté autour de nous.

Aucun réseau cellulaire, ni wifi, ni TV ou autre connerie de ce genre.

En sortant de la baie, Mick a l’air pensif en contemplant l’incroyable environnement qui s’offre à nous. Les montagnes s’élèvent à 1 500 m au-dessus du niveau de la mer. Une centaine d’otaries nagent près du bateau. Les aigles à tête blanche qui frôlent les falaises, ont une envergure plus grande que celle de Mason Ho.

« La nature nous offre une véritable galerie d’art à ciel ouvert », constate Mick, en appréciant chaque détail. Mason, lui, est un peu plus bruyant pour exprimer son approbation. « Cet endroit est incroyable !!! » s’extasie-t-il en photographiant la chaîne de montagnes, « CHEEEEE – Hooooo ! ». Il rit, puis tout le monde rit, parce que le rire de Mason est aussi contagieux que le rhume.

Tout est plus grand ici — les montagnes, les plages, les arbres – à l’ombre de leur immensité les vagues semblent impossible à surfer. Pourtant, après un tel voyage Mick et Mason n’ont qu’une envie : tester les spots. Mike et Scott pensent que la température de l’eau varie autour des 4 degrés, mais sans réelle certitude.

Ils ont tous les deux enfilé toutes leurs affaires – une 5 : 3 : 3 Flashbomb avec cagoule intégrée, des gants et des chaussons de 5mm – et sautent depuis le pont supérieur du bateau. Puisque Mason vient d’Hawaï et qu’il est sujet à des réactions théâtrales, nous nous attendons à un vrai sketch après son premier plongeon. Mais il a l’air soulagé, lorsqu’il refait surface.

« Il ne fait pas si froid que ça. » Dit-il. « On ressent juste le froid au niveau du visage. » Mike semble être du même avis et tous deux rament vers le large avec un seul but en tête : surfer.

Les vagues ne sont pas si petites et en plus de ça c’est super fun. Entre deux sets, ils planifient leurs prochaines excursions de snowboard sur ces montagnes parfaites. Ils contemplent deux aigles sur la cime d’un arbre qui se rapprochent l’un de l’autre, lorsqu’une otarie curieuse vient les observer, les yeux exorbités. Tout est plus grand ici, sauf l’homme finalement. L’ampleur de l’environnement et leur présence dans ces lieux si imposant les fait sentir petits et vulnérables.

La vie en bateau est rythmée par un autre tempo. Vous mangez parce que vous vous ennuyez. Vous faites deux siestes par jour pour passer le temps. Vous prenez du café après 11 heures et de la bière avant 4 heures. A 20 heures il n’y a toujours rien à faire et le temps s’étire. Si bien que le moindre détail finit par avoir de l’importance. Voici quelques-unes de nos observations sur la vie en bateau :

  • Mason raconte les histoires comme personne
  • Les petits biscuits peuvent vous sauver du mal de mer
  • Lorsque l’on fait pipi par-dessus bord la nuit, l’océan scintille par bioluminescence
  • Les locaux – Mike et Scott – sont plus résistants que vous. À 60 ans, Mike est le premier levé et le dernier couché. A la moitié du trip, Scott s’est cassé la jambe sur un rocher. Mais à coup d’Ibuprofène, il a continué à filmer Mason et Mick sans dire un mot. Nous l’avons déposé en ville le lendemain et il s’est fait opérer le soir même en urgence.
  • Ces points blancs en-dessous de la limite de neige sont des chèvres.
  • Ces points blancs au-dessus de la limite de neige sont aussi des chèvres. Ou de la neige.
  • Ces points blancs dans les arbres sont des aigles à tête blanche.
  • Ces aigles à tête blanche au loin sont peut-être finalement que des mouettes (« aigle blanc ») ou corbeaux (« aigle noir »)
  • Lorsque le livre de recettes du bateau contient des recettes telles que « grizzli rôti », « ragoût de lion de mer » et « baleine au barbecue » vous ne demandez pas ce qui est prévu pour le dîner, vous mangez, c’est tout.
  • Lorsque les conditions vous permettent de surfer, vous surfez, parce que les conditions vont bientôt changer.

Une conversation en s’équipant pour la meilleure session du trip

Mick: Regarde ça! Regarde cette section!
Mason: Brah, but that’s not even close to the one I seen earlier.
Mick: Vraiment?
Mason: Je te jure, j’en ai vu une qui ressemblait à une vague de 2m50 avec un tube de 10 secondes ! C’était aussi large que Backdoor.
Mick: Allons-y.
Mason: Qu’est-ce que je prends ? La 6’3’’ ?
Mick (en waxant sa planche): C’est comme si je frottais de la glace sur ma planche.
Mason (à lui-même): Est-ce que je prends la 6’3’’ ?
Mike (en sortant de la passerelle du capitaine): Tu vas continuer à te poser des questions encore longtemps ou tu vas venir surfer ?
Mason: Oh mec, je savais que j’allais t’aimer. Tu me fais tellement penser à mon père.

Quand il atteint les rochers avec sa 6’3″, Mason se rend compte que depuis le bateau les vagues semblaient plus fun. La marée est haute et la période est courte entre les vagues qui se brisent dangereusement sur les rochers. Mais Mason affronte ce défi, s’assoit sur sa planche et attend sa « vague Backdoorienne ». Il voit une chèvre sur le bord de la falaise. (« Comment est-ce qu’elle a bien pu monter là-haut ? ») Il attend. Un aigle commence à tournoyer au-dessus de lui. Il attend. Après environ 20 minutes, sa vague apparaît. Il est trop profond mais décide quand même d’y aller, rame de toutes ses forces, puis se fait enfermer dans un tube bien carré à seulement 10 mètres des rochers. Il refait surface indemne.

« Le surf n’est pas ma priorité principale ici … Ma priorité principale est simplement d’explorer ce pays dont je ne sais pas grand-chose finalement. »

« Wow » dit-il avec de grands yeux en ramant. « Si vous aviez vu ce que j’ai vu dans ce tube ! Les rochers sont sortis de nulle part alors que j’étais dans le tube! Je me serai cru à Backdoor ».

Après quelques tentatives supplémentaires et un aileron perdu dans les rochers, il décide de rejoindre Mick qui s’est aventuré sur une autre section un peu plus loin. Au fur et à mesure que Mason se rapproche du line-up, il voit Mick prendre une vague de deux mètres en envoyant du spray régulièrement tout au long de son ride. Mick rappelle à tous que son surf est aussi précis que jamais. Oui, il y a bien ces turns incisifs qui ont fait sa réputation, mais également sa nonchalance sur les vagues. Un alley-oop par-ci, un air par-là, celui suffit à lui donner le sourire. Et alors qu’il n’y a pas de juges, il fracasse les vagues comme si il y avait un titre mondial en jeu, alors que ce n’est pas le cas.

« Le surf n’est pas ma priorité principale ici », dira Mick plus tard, coiffé d’une chapka qui lui donne davantage l’air d’un chasseur de castor qu’un surfeur. « Ma priorité principale est simplement d’explorer ce pays dont je ne sais pas grand-chose finalement. »

Crack-crack plouf

La houle engendrée par la chute de blocs de glace arrive de manière irrégulière et Mick et Mason décident de leurs tours à pile ou face. Ils n’ont aucune idée d’où se placer pour surfer cette vague, n’ayant jamais surfés ici : personne n’a jamais surfé ici. Ils ont mis leurs planches sur les stands-up paddle en s’imaginant que celui-ci pourrait leur donner davantage de vitesse à la rame.

Mais au final ils n’avancent pas plus vite. Ils voient alors une gauche parfaite dérouler, mais ils sont trop loin de cette dernière.

« Non, non, non ! » S’écrie Mason en ramant de toutes ses forces vers la vague. Mick accepte la défaite et ne rate pas une miette du spectacle, la bouche grande ouverte. La ténacité de Mason finit par payer, il parvient à prendre la dernière vague de la série.

« C’était la meilleure vague de 30 cm de ma vie », affirme Mason heureux et mécontent à la fois. Il connait maintenant le potentiel de cette vague et pour un gars qui adore l’originalité, il vient de trouver son Graal. « Il faut absolument qu’on soit prêt pour la prochaine. »

Crack-crack-plouf

Les prochaines vagues arrivent déjà. Mick décide de prendre une droite, mais le nombre et la densité des morceaux de glace l’empêchent de partir. Mason, lui, rame vers le large et se met debout sur un petit iceberg et tente un drop directement dans la vague. Malheureusement il se prend un bloc de glace à l’atterrissage et arrache ainsi sa dérive centrale. « Ce sera la prochaine » soupire-t-il.

Crack-crack-plouf

Pas mal de fausses alertes. Le côté imprévisible du surf refait ici surface. Entourés d’icebergs les deux se mettent à rire devant tant d’incongruité. A cet instant de l’autre côté du globe la compétition de Drug Aware Margaret River Pro est mise en stand-by.

Crack-crack-crack

Un long swell d’est leur permet d’essayer encore une dernière fois. Mick a abandonné tout espoir de prendre une vague avec son shortboard et pagaie à travers les morceaux de glace à l’aide de son stand up paddle sans dérive. Mason grimpe de nouveau sur un iceberg et lorsqu’une première vague arrive il se jette sur son paddle, puis sur son shortboard sans difficulté avant de s’écraser sur un bloc de glace. Il atterrit sur la plage, mort de rire et couvert de glace « Le fun est de retour ! » s’exclame-t’il avant de se retourner pour voir Mick revenir sur le bord avec la prochaine vague. Mason est là pour le féliciter !

« Ca y est », dit Mick fou de joie mais épuisé. « On l’a fait. C’était énorme. »

Toutes ces vagues ont apporté encore plus de blocs de glace, épuisés ils rament non sans mal jusqu’au bateau, encerclé par la glace. Bien qu’heureux Mason est tourmenté, il en veut plus. « J’ai l’impression que c’est le début d’un nouveau Search » dit-il « C’était juste un avant-goût. Je veux revenir et surfer la vague de glacier ».

Au moment de lever l’ancre et de retourner vers la civilisation, Mick observe le glacier s’éloigner de la baie et disparaître derrière les montagnes. Dans une centaine d’années, le dernier morceau visible de ce glacier disparaîtra dans l’eau pour créer une vague. Mason et lui seront alors bien loin. Les compétitions semblent elles aussi bien loin. « Cet endroit nous fait nous rend insignifiant » dit-il en buvant de la bière. « Cela fait du bien. On se sent enfin en paix. »

Mots de la fin

Le soir avant leur départ, ils boivent du whisky dans un bar appelé « The Pit ». C’est le genre d’endroit qui est ouvert jusqu’à 6h du matin, qui permet de fumer et qui vend des t-shirts disant: « Je me suis fait « pitfaced » au bar Pit. Un peu d’ambiance locale pour célébrer un voyage unique dans une vie.

« Cela m’a fait du bien », dit Mick, tel un homme qui vient de descendre quelques verres avec ses potes « Etre dans la nature et ne pas avoir un calendrier, pas de réseau ni de connexion wifi. C’est exactement ce qu’il me fallait – pour décompresser et disparaître quelque temps ».

Bien qu’ils soient désormais techniquement de retour dans la civilisation, Mick reste toujours invisible.

« Alors, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? », demande Brendan, l’éboueur assis à côté de Mick au bar.

« Je surfe », répond Mick.

« Ok mais c’est quoi ton job ? Pourquoi est-ce que quelqu’un paierait pour ça ? »

Mick rigole « Mec, je me pose cette question depuis 20 ans. »